La première définition que donne le Robert de l'accident est celle d'un événement fortuit, imprévisible. L'accident présuppose donc une continuité qu'il vient rompre ou perturber, une attente qu'il vient surprendre, une habitude qu'il vient déranger. Il n'y a d'accident que s'il y a de l'ordre, et la démonstration par les faits des limites de cet ordre. Il n'y a pas d'accident dans le chaos, ni évidemment dans l'absolue pureté d'un ordre sans extériorité. Il présuppose une organisation, une forme organisée, qui se présente d'une certainement façon, déterminée, au monde dans lequel se joue son devenir. Et nécessairement, l'accident est relatif aux modalités et aux propriétés de cette organisation. D'une certaine façon, on peut dire qu'il lui appartient. L'accident est donc à la fois extérieur et intérieur à l'organisation qu'il perturbe. Paradoxalement, il est une extériorité "interne", une limite et un pli, pour reprendre l'expression de Deleuze. C'est ce qui donne tout son sens à l'idée de stratégie. La stratégie suppose des objectifs, une finalité, et la mise en oeuvre d'un ensemble d'éléments qui doivent créer la situation permettant d'y parvenir. Entre les éléments, les situations qu'ils concourent à créer et les objectifs qui doivent être réalisés, il y a toujours un espace de jeu, des impondérables. La stratégie est le filet tendu qui se défend de l'impondérable tout en le "contenant". On a tendance à oublier que l'étymologie du mot machine porte avec elle l'idée de la machination et de la ruse. C'est encore le premier sens que le Robert lui donne. Et il n'a pas cessé, avec ce qu'il véhicule de tromperie et d'illusion en même temps que de calcul, de l'habiter. Cela fait une part de l'intérêt de l'histoire des automates. Et c'est encore ce qui se réinvente quand Alan Turing interroge la capacité des machines à penser et qu'il invente "Le jeu de l'imitation" (1950).

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