Plusieurs des pistes que nous avons été amenés à suivre, en particulier la réflexion sur le concept de temps réel, nous ont conduits à nous intéresser à la cybernétique, et en particulier à engager une lecture d'un certain nombre de textes qui appartiennent à la période dite de la "première cybernétique", des années 40 au début des années 50. Au delà des ouvrages publiés par Norbert Wiener, beaucoup d'entre eux sont réunis dans le recueil critique publié par Aline Pélissier et Alain Tête sous le titre "Sciences cognitives, textes fondateurs" (PUF, 1995). Plusieurs raisons nous y poussaient. D'abord, ces textes témoignent de la façon dont un certain nombre de questions, jusqu'alors distribuées dans des disciplines séparées, les mathématiques, la physique, la biologie, la neurologie, la technologie, l'anthropologie et l'épistémologie, se recoupaient et venaient dessiner un espace théorique nouveau, qui a pris corps plus tard dans ce que l'on a appelé les sciences cognitives, et qui a des prolongement en informatique ou dans les théories de l'intelligence artificielle. Au delà de leur rôle proprement scientifique, ces questions contribuent de façon essentielle à l'imaginaire contemporain. Ensuite, ces textes nous permettaient d'échapper à un point de vue purement technique des questions qui nous intéressaient, et d'éviter le seul face à face art/ technologies. Enfin, la cybernétique a très vite posé la question de ses implications socio-politiques, elle a promu des concepts comme ceux du contrôle et de la régulation sociale qui ne sont pas sans retentir dans les conceptions présentes de la politique comme gestion et ce que l'on appelle la "gouvernance" ou dans les critiques célèbres de la société de contrôle. Il y a là un foyer théorique et pratique qui nous paraissait incontournable et étrangement sous exploité dans les textes contemporains.
Notre ambition n'était évidemment pas de combler ce manque - ce dont nous n'avons ni les moyens, ni les compétences, et qui sortait de notre champ problématique. Mais nous pouvions utiliser la cybernétique comme un espace de références et un butoir critique à partir duquel d'autres textes, ou des problématiques artistiques et technologiques pouvaient être pris en considération. Cela a nourri des débats, alimenté des propositions d'actions ou de mise en situation, suscité des développements théoriques et des textes qui se retrouvent, dans des approches différentes, publié sur le site de Plot (plotsème). D'une façon plus indirecte, cela a conduit à engager la réflexion sur des questions plus directement politiques, d'une part en contribuant à un travail sur le temps et l'utopie, à des interventions sur un auteur comme Machiavel ou des analyses des formes postmodernes ou postfordiennes du capitalisme (Jeremy Rifkin, Paolo Virno), d'autre part en rejoignant le débat déjà ouvert par d'autres laboratoires d'Agglo sur les questions de la propriété intellectuelle.