La construction de situations collectives d'invention n'a jamais été un objet d'étude ou de recherche pour Plot. Ce n'était pas quelque chose que nous nous proposions comme une réalité extérieure offerte à notre investigation. En réalité, nous n'en avons jamais discuté au sein de Plot. Nous n'en avons jamais ressenti le besoin. Mais si l'on veut bien concevoir l'idée de construction comme un processus sans fin, le concept de situation comme le champ ouvert des relations déterminées par la position théorique et pratique d'une entité en mouvement, le collectif - et par delà le "collectif", la collectivité - comme cela même qui est travaillé dans l'invention, et l'invention comme la part non entièrement prévisible de ce qui advient, et qui aussitôt se remet en jeu dans un devenir, alors on peut saisir ce qui constitue le projet de Plot ou, plutôt que son projet, son activité. Et l'on voit bien pourquoi c'est la question du temps, des temporalités et de la lenteur qui est venue en quelque sorte "naturellement" constituer le noyau autour duquel tourne la diversité des propositions que nous avons avancées, sans jamais se départir de la particularité de nos points de vue. Encore faut-il préciser que ces points de vue, qui évidemment engagent les lieux de nos pratiques respectives, théoriques ou artistiques, programmatives ou performatives, ne s'y réduisent jamais, mais s'y questionnent et s'y déplacent, s'y croisent, et que ce sont ces croisements qui sont les moteurs de ce que nous appelons notre conversation.
La notion de situation est certainement pour nous la notion clé. D'abord parce qu'elle ne renvoie à aucun sujet préalablement constitué, comme pourrait tendre à le faire la notion d'invention ou, autrement, celle de collectif. La situation est auto constitutive dans le moment même où elle se joue. C'est une figure de l'émergence qui ne se prémédite jamais entièrement, qui ne s'accomplit que dans l'irréductibilité de la complexité qu'elle contribue à générer dans sa propre effectuation. Et cette effectuation est ce par quoi un "centre" relatif, un "cela" par rapport auquel se définit un contexte, se propose d'une certaine façon, dans la détermination de son orientation ou de sa configuration, de son programme, de façon à faire sens. Ensuite parce que cette auto constitution se réalise dans une temporalité qui lui est propre. La situation n'existe que dans la durée de la production de ses conditions, de son apparition ou de sa mise en oeuvre, de son déroulement et de son aboutissement ou de son suspens, des déplacements qu'elle provoque, de ce qui s'y improvise. La situation est quelque chose de l'ordre du noeud et de l'événement - du "dénouement" si l'on veut. C'est bien en cela qu'elle engage du récit.
Avec toutes les précautions indispensables, on peut dire que nous avons essayé, au sens de l'essai (tentative et expérience) de tendre un fil entre épistémologie, politique et esthétique. Ou encore que nous avons essayé de tendre vers une esthétique de la situation.