Ce qui caractérise le flux est peut-être moins le déplacement linéaire dans l'espace que la variation des états. Un flux, ce n'est pas seulement un jet, mais une modulation. Dans un cas, c'est de la matière qui se déplace, dans l'autre, c'est de l'information. Déjà, quand une onde se déplace, ce ne sont pas des particules qui se propagent, mais leur organisation qui est modulée. Le flux est une variation dans une redondance, une rythmicité. Il ne se manifeste que relativement à des pôles qu'il traverse et modifie et à des codes qui lui donnent consistance. Il engage des instances de filtrage, des transformateurs qui lui opposent ou lui imposent leur propre logique. Le flux est ce qui traverse, et par là même ce qui est capturé, accumulé, transformé, encodé. Il n'est donc pas seulement un déplacement d'objets, de signes ou de quantités d'énergie, il est ce qui circule, mais aussi ce qui circule entre l'énergie et le code, la force et la règle, l'innommable et le nombre. Il n'est pas immédiat, mais bien au contraire il est ce qui est mis en oeuvre dans les médiations, ce qui y travaille et ce qui les travaille.
Il y a deux faces du flux, à la fois inséparables et incomplètes, nécessaires et insuffisantes. D'un côté la face énergétique, de l'autre la face nominale ou numérale. La première ne peut être saisie que par la seconde, la seconde ne peut rendre entièrement compte de la première. Et ni l'une ni l'autre ne se donnent comme objet de sens sans l'intervention d'une troisième instance, interprétative, critique ou fonctionnelle. Entre ces trois instances il y a nécessairement de la perte et du reste, ce qui donne corps à la temporalité des flux, qui ne consiste pas seulement dans leur rythme ou leur vitesse, mais dans ce qui s'y creuse de déperdition, dans ce qui échappe, ce qui fuit.
Cf : Flux, stock et fuites.